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La ferme

Tous les jeudis, jour de repos des écoliers, il fallait aller chercher la nourriture pour la semaine : mes parents n'avaient pas encore de voiture à la fin des années 70. Nous partions à vélo, mon frère et moi, pour une dizaine de kilomètres dans la campagne mayennaise. Nous allions toujours à la même ferme, qui portait le doux nom de "Chalopinnière", chercher deux ou trois poulets, des œufs et parfois un lapin. Les animaux étaient vivants et nous les enfermions dans des sacs à provisions, accrochés aux guidons des vélos. Parfois, la fermière nous proposait de boire un verre de cidre et de manger : "Qu'est-ce que tu veux, mon p'tit bonhomme ? une beurrée de beurre avec un pèrre  ou un bout de fourmeuge ?"  Avec le temps, j'avais fini par comprendre que j'avais le choix entre une tartine de beurre avec une poire ou un morceau de fromage. De temps en temps, elle nous interpellait en nous disant : "les jeunes d'ast'heur, on a beau yeu'di, on a beau yeu'fé, i n'en f'sant qu'à yeu'têt !" ("les jeunes d'aujourd'hui, on  a beau dire, on a beau faire, ils n'en font qu'à leur tête !". Nous répondions alors avec un sourire béat pour lui faire croire qu'on avait compris.

L'été, cette balade champêtre était sympathique, mais l'hiver, elle pouvait tourner au cauchemar, à cause du froid ou de la pluie. Je me souviens que parfois, j'arrivais à la maison en pleurant, les mains rougies par un froid vif et cinglant : ma grand-mère, qui ne m'aimait pas beaucoup, disait que je "faisais des manières" pendant que j'essayais de ramener me doigts à la vie au dessus du poêle à bois (ma grand-mère était très psychologue et savait parler aux enfants de neuf ans !)

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