Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Jeteur de sorts

    Toute mon enfance en Mayenne a été bercée entre la crainte des jeteurs de sorts et le respect des guérisseurs, qui exerçaient leurs "activités" parallèlement à la médecine traditionnelle, en mêlant savoir ésotérique ou religieux, avec une bonne dose de mystères. Personne, bien sûr, ne se vantait d'être jeteur de sorts, car ce pouvoir maléfique faisait fuir les gens, mais les habitants des villages connaissaient parfaitement les pouvoirs de telle ou telle personne et évitaient d'entrer en conflit avec elle. Ce pouvoir mystérieux était d'origine paysanne : au 19 eme siècle, le travail de la terre était dure et la jalousie entre paysans voisins souvent féroce. Il arrivait que, suite à une brouille entre agriculeurs, l'un deux fasse appel au jeteur de sorts pour rendre stérile le troupeau de vaches du voisin, voire pour les faire périr. Mon père connaissait beaucoup d'histoires de ce genre, que lui même avait entendues de la bouche de son père. Ainsi, l'histoire de ce jeteur de sorts, qui lors d'une dispute sur le marché d'un village, dit à son contradicteur qu'il ne quitterait pas son lit (ni ses toilettes ...) pendant une semaine : le pauvre homme fut victime d'une diarrhée pendant plusieurs jours et faillit en mourir : seule l'intervention d'un guérisseur "plus fort" que le jeteur de sorts le sauva.
    Je ne fus pas personnellement témoin d'un cas de sort jeté à quelqu'un, mais il y avait un membre de notre famille dont mes parents se méfiaient énormément : il s'agissait de "Tonton Marcel", beau-frère de mes parents. Le personnage était impressionnant : malgré son pied bot qui le faisait boiter, il était d'une force herculéenne et pouvait, pour s'amuser, vous broyer le main en vous fixant droit dans les yeux. Il n'aimait pas les animaux et si mon chat avait le malheur de passer près de lui, il le prenait par la queue et lui faisait faire un bond de 10 mètres ! Mon père avait un petit élevage de pigeons mais les oeufs pondus et couvés ne donnaient jamais de poussins : il soupçonnait mon oncle, qui élevait des pigeons lui aussi, de jeter régulièrement des sorts à ses pigeons, par jalousie. Nous n'avons bien sûr jamais eu la preuve formelle de ses méfaits, car il y avait un non-dit absolu à ce sujet.
    Quand nous avons grandi et dû passer nos premiers examens scolaires (Brevet, Bac etc ...), nos parents ne dévoilaient jamais les dates des examens devant l'oncle ... par prudence.

     

  • Pied brûlé

    Le jeudi, jour de repos des écoliers, nous aimions, mon frère et moi, nous ballader dans notre terrain de jeux favori de l'époque : le champ de détritus dans lequel était déversé toutes les ordures ménagères du village. C'était une ancienne carrière à ciel ouvert. On y trouvait de tout : vieux meubles, jouets cassés, vêtements usagés, nourriture avariée, poules, rats, chats, chiens etc ... bref un bric à brac incroyable, dans une odeur peu ragoûtante. Nous avions décidé, un jeudi après-midi du mois de mai, d'aller faire un tour dans ce dépotoir, pour récupérer des poussins, qui naissaient régulièrement là-bas. Il faisait très chaud et des fumées s'échappaient des tas de bois qui avaient brûlé pendant plusieurs jours. Nous marchions tranquillement dans la pente quand tout à coup, mon frère, devant moi, se mit à hurler en se couchant à terre : il venait de poser le pied dans un tas de braises brûlantes, cachées sous des branchages. Tout en criant sa douleur, il ôta sa chaussure et sa chaussette et resta allongé au sol, entouré des braises fumantes. Je ne pouvais rien faire pour l'aider, car le danger était partout. De plus, mon frère était en équilibre instable et risquait à tout moment de dévaler la pente, au milieu des braises et de la ferraille. Heureusement, un ouvrier venu décharger son camion, nous aperçut et vint immédiatement porter secours à mon frère. Il réussit à l'extirper de son piège et nous ramena immédiatement chez nos parents. Ma mère, affolée en voyant mon frère hurler, vit venir le médecin, qui constata la brûlure au 3eme degré ! Hélas, il ne pouvait rien faire pour calmer la douleur. Mon père, qui avait été mis au courant de notre mésaventure et voyant la douleur de mon frère, partit chercher le garde-barrières du village : quand il arriva à la maison, il s'assit immédiatement aux pieds de mon frère, qui ne cessait d'hurler. Il se concentra en silence, pendant plusieurs minutes, en passant régulièrement sa main à quelques centimètres du pied brûlé. Tout à coup, mon frère cessa ses pleurs et les cloques qui couvraient sa plante de pied, se vidèrent de leur liquide : la brûlure était stoppé net. Mon frère guérit de cette méchante brûlure sans aucune cicatrice ni séquelle.
    Cet épisode de ma vie me marqua car je fus témoin d'un cas de guérison de brûlure devant laquelle la médecine traditionnelle ne pouvait rien faire.

  • Le Meccano

    Le Meccano, jeu de construction en vogue dans les années 70, m'a évité des après-midi de nain jaune, bataille navale ou autre Monopoly, jeux certes intéressants, mais qui ne m'enthousiasmaient pas comme le Meccano. Quel ne fut pas mon bonheur, quand un jour, ma marraine m'offrit ma première boîte de ce jeu : c'était la boîte n°1 (la numérotation allait, à l'époque, de 1 à 10, par ordre croissant de difficulté). J'étais fou de joie car je rêvais de ce jeu, mais sans beaucoup d'espoir, car son prix était trop élevé. Ma marraine, dont le mari avait le bon goût de bien gagner sa vie, me permettait donc d'assouvir ma passion dévorante pour ce jeu de construction qui m'occupait des journées entières. Dès qu'une figure était montée, je m'attaquait immédiatement à la suivante, en attendant la prochaine boîte, dont le numéro supérieur excitait ma curiosité.
    Et puis, un jour, la boîte n°6 n'est jamais arrivée, ma marraine ayant sans doute décidé que j'étais trop grand pour jouer à ce genre de jeu. J'ai donc rangé définitivement mes précieuses boîtes de Méccano dans une armoire et n'ai jamais pu m'en séparer.

  • L'appendicite

    L'été 1967 s'annonçait bien : il faisait beau en ce début du mois de juillet, nous faisions des ballades champêtres avec mon frère et ma soeur et mes parents, pour la première fois de leur vie, avaient décidé de louer au mois d'août, une petite maison au bord de la mer, près des Sables d'Olonne. Après une journée passée à jouer dehors, je revins à la maison avec de violents maux de ventre, qui m'obligèrent à m'allonger dans mon lit. Le diagnostic établi par le médecin fut rapide : appendicite aigue. Mes parents décidèrent donc de m'emmener en urgence à l'hôpital, situé à une vingtaine du kilomètres de chez eux. Je fus opéré immédiatement et après un séjour à l'hôpital, je sortais heureux de ne plus souffrir. L'arrivée chez mes parents fut triomphale, mes frères et soeurs chantaient car, en plus, nous partions enfin en vacances le lendemain. Hélas, dans la nuit, je fus pris à nouveau de violents maux de ventre; le médecin, appelé en urgence, était impuissant à calmer la douleur : il demanda à mes parents de m'emmener à nouveau à l'hôpital en urgence. Je montais dans la voiture, hurlant de douleur, avec ma maman qui me frottait le ventre, pour essayer de me calmer. Je fus pris en charge immédiatement à l'hôpital et opéré dans les heures qui suivirent. Le diagnostic des médecins était plus que réservé, laissant mes parents dans une angoisse insupportable. Ils durent retourner chez eux, et comme ils n'avaient pas le téléphone, ils allaient toutes les heures chez un voisin pour essayer d'avoir de mes nouvelles auprès de l'hôpital. En fin de matinée, ils purent enfin parler au chirurgien qui m'avait opéré et qui leur annonça que j'avais été victime d'une occlusion intestinale : il était réservé sur mes chances de guérison, car l'opération avait été lourde. Mes parents étaient effondrés et vécurent ces journées d'une façon épouvantable. Petit à petit, je finis, malgré tout, par me rétablir, en passant de l'état allongé sous goutte à goutte, à l'état d'autonomie alimentaire totale. Je fus hospitalisé durant 3 semaines, pendant lesquelles je vis mes parents pleurer, puis sourire enfin en constatant mon rétablissement. Ma maman, qui était très pieuse, avait demandé à l'aumonier de l'hôpital de venir me rendre visite, ainsi qu'à une soeur-infirmière, qui nous faisait les piqûres quand on était malade. A ma sortie de l'hôpital, j'étais très faible et j'avais beaucoup maigri. Mon calvaire n'était pas encore terminé, puisque, quelques jours plus tard, je fus à nouveau pris d'une violente crise de mal de ventre, en pleine nuit. Le médecin dit à mes parents que, vu mon état physique, je ne supporterai pas une troisième opération. Mon père décida alors d'aller voir un toucheur (voir "le vermifuge Teurtou") qu'il connaissait : celui-ci dit à mon père de me donner un sucre trempé dans de l'eau de vie et que j'irai mieux ensuite. A son retour, mon père, qui était assez sceptique (je ne pouvais rien manger sans vomir), me fis manger le sucre alcoolisé, que j'avalai sans broncher. Je m'endormis et me réveillai le lendemain matin, en pleine forme.
    Je ne fus plus jamais hospitalisé pour des problèmes de ventre. Je venais de passer les ¾ de mes vacances d'été à l'hôpital. Mes parents, quant à eux, venaient certainement de vivre un de leurs pires cauchemars.

  • Les enfants des commerçants

    Certains de mes copains d’enfance étaient fils de commerçants (charcutier, boulanger, épicier, quincaillier etc …) du village. Dans les années 60, les supermarchés ne faisaient pas encore leur loi et le commerçant du village régnait en maître sur une clientèle fidèle. Comme leur chiffre d’affaires était intéressant, leurs enfants vivaient dans une relative aisance matérielle, qui à l’époque, se concrétisait par l’achat régulier de vélos neufs (les scooters de l’époque), que les enfants d’ouvriers ne pouvaient que regarder. Combien de fois ai-je pu rêver devant ces beaux vélos, moi qui devais me contenter du vieux vélo retapé de mon père, ou de l’antiquité vélocipédique de mon grand-père ! Nous passions une partie de nos vacances, mon frère et moi, à réparer ou repeindre ces vieux vélos, pour les maintenir coûte que coûte en état de marche. Posséder un vélo neuf était pour moi, à l’époque, le summum du bonheur, que je n’ai atteint que bien des années plus tard.

  • La cidreuse

    Tous les ans, en novembre, mon père faisait remplir les 3 ou 4 barriques de cidre dans la cave. Un énorme pressoir sur roues arrivait alors un matin, attelé à un tracteur pétaradant : c'était la cidreuse, grosse machine commandée par un vieil homme, aussi rond que rouge, dont l'embonpoint et les rhumatismes alourdissaient la démarche. Les dizaines de kilos de pommes étaient avalées par l'engin, dans un bruit assourdissant, qui aurait pu réveiller les morts du cimetière d'à côté. Le jus de pommes sortait du pressoir pour se déverser dans les barriques : nous goûtions alors le savoureux breuvage, du cidre doux aussi bon que foudroyant pour les intestins fragiles. Une fois les barriques remplies, mon père laissait fermenter le cidre pendant une dizaine de jours. Nous devions ensuite, le soir ou pendant les week-ends, remplir de cidre des dizaines de bouteilles et les boucher manuellement avec un petit appareil, dans lequel on plaçait un bouchon de liège préalablement trempé dans de l'eau chaude.

    A cette époque, le cidre était la boisson courante des gens modestes et nous appréciions avec plaisir cette boisson rafraîchissante et naturelle : elle a peu à peu disparu de notre table, remplacée par du vin de supermarché.

  • La pêche à la ligne

    En été, pendant les vacances scolaires, nous allions souvent, mon frère et moi, pêcher à la ligne dans les mares d'une vielle ferme abandonnée, à quelques kilomètres de chez nous. Nous partions à vélo, en début d'après-midi, avec nos cannes à pêche et de nos appâts. Ces appâts se composaient souvent d'une ou deux pommes de terre cuites et de quelques vers de terre, récupérés dans le jardin. Arrivés sur place, nous nous installions autour d'une mare, au milieu des vaches, des oiseaux et de quelques couleuvres que nous rencontrions parfois. C'était des après-midi de bonheur, surtout quand les carpes avaient le bon goût de mordre à nos hameçons : nous rentrions alors dans la soirée, fiers de notre pêche et du bon repas qu'elle allait nous procurer. Nous pêchions aussi parfois les grenouilles, mais la façon de les attraper me semblait si cruelle, que j'ai vite abandonné ce genre de pêche : nous accrochions en effet un morceau de tissu rouge au bout de l'hameçon, que nous agitions ensuite devant la grenouille; elle happait alors goulûment le tissu et il suffisait de ferrer d'un geste vif et sec pour attraper l'animal, qui se débattait dans l'herbe, avec l'hameçon accroché dans la lèvre, ou plus profondément dans la gorge si la bête avait été trop gourmande. De retour à la maison, il fallait les tuer et ensuite les couper en deux avec un ciseau au niveau de l'abdomen pour pouvoir récupérer les cuisses des pauvres bêtes. La maigre pitance que nous avions dans notre assiette par rapport au nombre de grenouilles attrapées nous a rapidement éloigné de ce genre de pêche.
    En été, et particulièrement le 14 juillet, jour de notre fête nationale, nous partions pêcher avec notre père : on se levait à 4 heures du matin, on préparait les sandwichs aux rillettes ou jambon beurre. En arrivant sur notre lieu de pêche, vers 5 heures du matin, il faisant encore nuit et nous voyions poindre progressivement le soleil rouge de juillet, à l'orée des champs. Il faisait bon, pas encore trop chaud et la nature se réveillait progressivement : c'était des moments de bonheur inoubliables. Vers 8 heures du matin, c'était le cérémonial tant attendu du casse-croûte : on dégustait nos sandwichs en buvant du cidre frais, car mon père prenait toujours soin de plonger la bouteille de cidre bouché dans l'eau de la mare. Vers midi, nous partions, fatigués mais heureux de notre pêche et de ces moments de plénitude et de paix.