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"trente glorieuses"

  • La communion solennelle

    L'entrée en sixième marquait aussi l'année de notre communion solennelle. Je me souvenais bien des communions précédentes de mes trois frère et sœurs, qui avaient toujours lieu au mois de juin, mois de l'été qui arrivait, synonyme de grandes vacances. Au-delà de l'aspect religieux, la communion solennelle marquait vraiment une étape pour nous : elle symbolisait notre entrée dans l'adolescence, accompagnée des cadeaux qu'on nous faisait pour l'occasion. Il nous fallait attendre en effet la communion solennelle pour avoir sa première montre, sa première gourmette, et aussi, sa première chaîne au cou.

    Cette journée festive était préparée, pendant deux  semaines, au sein même de notre collège, avec tous les enfants concernés et un prêtre qui nous encadrait. Cette préparation, appelée la "retraite", était attendue impatiemment par les enfants, car nous n'assistions plus aux cours pendant ces quinze jours, afin de nous consacrer à notre communion. Nous étions dans des locaux annexes à ceux de notre collège, et nous passions notre journée à chanter, accompagnés par le prêtre à la guitare, à faire des randonnées pédestres ou des veillées : l'ambiance était très bon enfant, et les élèves étaient ravis de pouvoir échapper aux cours pendant ces deux semaines bénies !

    Nous nous entraînions aussi, dans l'église, à nous déplacer correctement, avec, l'avant-dernier jour, l'essayage de nos aubes. La mienne était un peu courte et usée, puisqu'elle avait déjà été utilisée par mon frère et mes deux sœurs, mais elle convenait pour la cérémonie et les photos qui s'ensuivaient.

    Le repas, après la cérémonie, était l'occasion, pour toute la famille réunie, de se retrouver au restaurant, ce qui n'arrivait quasiment jamais.

    Je garde un souvenir heureux de ces moments-là, où oncles, tantes, neveux, nièces, grands-pères, grands-mères et petits-enfants se côtoyaient dans un joyeux brouhaha, au milieu des rires et des chants, dans la grande salle du restaurant : elle s'ouvrait sur un jardin ombragé où les enfants jouaient, salissant leur belle tenue de cérémonie.

  • Le grand-père

    Avec nos parents, nous allions voir de temps en temps notre grand-père, qui habitait un petit village, à environ une dizaine de kilomètres de chez nous. Comme mes parents n’avaient pas de voiture, nous partions tous en vélo. Je m’asseyais à l’avant de son vélo de mon père, et mon frère s’asseyait sur le porte-bagages. Ma mère et mes deux sœurs faisaient la route avec leur propre vélo. Aller chez notre grand-père était toujours un moment excitant pour nous, car il tenait l’épicerie du village ; même si les boites de pâté qu’il vendait étaient parfois un peu avariées (les habitants ne vivaient pas très vieux dans la village !), nous ne pouvions nous empêcher d’aller discrètement dans  sa boutique pour plonger à pleines mains dans ses bocaux de bonbons, guimauves et autres carambars. S’il nous surprenait, il nous flanquait un coup de casquette sur la tête en grommelant : "J'vas te foutre un coup d'gâpette, dediou !".

    Le soir, au dîner, nous mangions … du pâté en boite ! (pas de soucis pour nous, on était vacciné depuis des années). En fin de repas, le grand-père nous jouait parfois un petit air d'accordéon, la seule richesse qu'il possédait : il avait appris à en jouer dans les tranchées, pendant la Grande Guerre (1914-1918), avec ses pauvres copains de galère, ouvriers ou paysans, chair à canon des généraux de l'époque.

  • La croix Vitafor

    Tous les ans, pendant les vacances d'été, "Ouest France", le journal quotidien de tout l'Ouest de la France, organisait un grand jeu concours dont le premier prix était une somme d'au moins dix millions d'anciens francs, soit l'équivalent de quinze mille euros aujourd'hui. Cette somme était très importante pour l'époque et nous passions toutes nos vacances d'été à essayer de résoudre les énigmes quotidiennes proposées par le journal. L'énigme du jour était en dernière page du quotidien et nous prenions soin, tous les jours, de la découper pour la ranger dans un classeur, avec toutes les énigmes précédentes : il s'agissait souvent d'une photo insolite d'un objet qu'il fallait découvrir. A la fin de l'été, quand le grand bulletin-réponse était édité par le journal, toute la famille se rassemblait et reprenait les énigmes une à une pour remplir le bulletin-réponse. Les discussions allaient bon train, car nous n'étions pas toujours d'accord sur le choix des réponses à donner : après des heures de palabres étalées sur plusieurs soirées, nous avions enfin rempli entièrement le bulletin réponse, sans oublier la question subsidiaire.

    Et puis un jour, cette belle harmonie démocratique a été rompue par l'arrivée d'une nouvelle venue : la croix Vitafor. Ma mère avait acheté cette croix par correspondance, à la suite d'une publicité qu'elle avait vue dans un journal et qui vantait les mérites de cette belle croix pendentif : joie, bonheur, santé et chance étaient assurés à celui qui la porterait. Comme mon père semblait disposer d'un vrai fluide magnétique (il lui arrivait de trouver une source avec une montre pendentif),  il avait décidé de passer toutes les énigmes sous la croix Vitafor, qu'il tenait une bout de sa chaîne, comme un pendule. Pour chaque énigme posée, il passait la croix au-dessus de chacune des quatre ou cinq réponses proposées : si la croix se mettait à tourner au dessus d'une réponse, c'est qu'elle était la bonne. Malgré notre scepticisme sur les réponses apportées par la croix, mes parents remplirent le bulletin-réponse en fonction de celle-ci  ….

    Cette année-là, nous n'avons rien gagné, pas même un petit lot de consolation que nous arrivions parfois à décrocher, les années précédentes.

    La croix Vitafor a terminé sa vie dans une petite boîte enfermée dans une armoire, d'où elle n'est jamais ressortie.

  • Le curé d'Ars

    Dans notre village coexistaient deux types d'écoles : l'école laïque et l'école libre. Nous avons passé notre scolarité (jusqu'en 3 ème) au collège St Joseph, qui, selon mes parents, avait une bien meilleure réputation que l'école laïque d'à côté. Nous avions donc un enseignement religieux donné à  l'école par l'abbé du village, qui nous rendait visite une fois par semaine. J'appréciais la visite de l'abbé, car sa venue nous permettait d'oublier un peu les problèmes de fuite de robinet et autre analyse grammaticale. De plus, le sympathique abbé était d'une grande gentillesse et son enseignement se limitait en fait à nous raconter de pieuses histoires : il avait une façon si captivante de les raconter que son assistance, faite d'enfants de 10/11 ans, restait attentionnée jusqu'à la fin. Ainsi, l'histoire du curé d'Ars nous avait-elle marquée, quand il nous parlait du combat de ce pauvre petit curé de campagne contre le diable, qui venait déchirer ses rideaux en pleine nuit, au milieu de bruits effrayants : un habitant du village, qui s'était caché dans son grenier avec un fusil, en était même ressorti mort de peur ! Par trois ou quatre fois, le curé a voulu quitter le village, mais les habitants l'ont retenu. J'étais effrayé par cette histoire, qui m'a fait penser par la suite au film "l'exorciste" et j'ai passé quelques mauvaises nuits, blotti sous mes couverture, à me boucher les oreilles pour ne pas entendre de bruits suspects dans la maison.

  • Le Mont Saint Michel

    Quand l’été arrivait, mes parents aimaient s’octroyer une journée de détente, en famille, au Mont Saint Michel. La distance à parcourir était d’environ 200 km et nous nous levions de bonne heure pour pouvoir profiter pleinement de la journée. Ma mère préparait les sandwichs et les boissons pour toute la famille et les enfermait dans une énorme glacière. Le voyage se faisait sans encombre, par les routes départementales. Nous arrivions en milieu de matinée et pouvions ainsi grimper les marches du Mont. Nous avions du mal à nous frayer un chemin dans la foule : nous touchions des yeux les souvenirs étalés aux devantures des magasins, mais le moment le plus difficile était sans doute l’arrêt devant le restaurant  "La Mère Poulard", avec ses fumets d'omelettes baveuses qui venaient titiller nos narines : évidemment, les tarifs prohibitifs nous interdisaient toute incursion dans ce restaurant.
    Après la visite du Mont, nous repartions en voiture pour passer l'après-midi sur une des plages alentour. Une fois sur place, nous commencions par déjeuner car le voyage et l'escapade au Mont Saint Michel nous avaient ouvert l'appétit : nous mangions nos sandwichs assis en tailleur, sur nos serviettes. Venaient ensuite la baignade pour les plus grands et les jeux dans le sable pour les plus petits : nos parents, quant à eux, restaient sur la plage, allongés sur leur serviette. Mon père gardait son pantalon, même sur la plage, car il supportait difficilement l'ardeur du soleil.
    Ainsi s'écoulait la journée où nous faisions le plein d'iode … et de coups de soleil !
    Le retour à la maison, en soirée, était beaucoup plus pénible que l'aller : nous ne pouvions en effet pas prendre de douche avant de quitter la plage et tout le trajet retour se faisait, serrés à sept dans la voiture, en nous grattant les fesses et le dos, avec la peau plus ou moins brûlée par le beau soleil du mois d'août.
    Nous arrivions chez nous dans la nuit, épuisés mais heureux de cette belle journée passée au soleil avec nos parents.

  • Le docteur L.

    Souvent à la campagne, à cette époque, les familles restaient fidèles à leur médecin. C'était le cas de mes parents, qui ont toujours fait appel au même médecin, le docteur L.
    Le docteur L. était l'archétype du médecin de campagne, travailleur infatigable ne comptant pas ses heures, respecté de ses clients. A force d'aller dans les foyers des mères de famille, il s'octroyait quelques libertés par rapport à celles-ci, en les appelant par leur prénom ou en les prenant par le cou. Ce médecin aux mains un peu baladeuses était une "grande gueule", assez adroit pour s'être fait élire maire du village. Comme il se doit, son épouse s'occupait des bonnes oeuvres, notamment de villages pauvres d'Afrique, ce qui permettait au médecin malin de faire quelques escapades africaines, pour la bonne cause, bien sûr.
    Hélas, ce médecin "à l'ancienne" avait de nombreuses lacunes et ses diagnostics étaient parfois incertains, car il était sûr de sa science et n'était pas du genre à se remettre en cause.
    Ainsi, il ne put détecter le cancer de l'utérus dont ma mère souffrait depuis plusieurs mois : elle dut se faire opérer en urgence et est décédée après 6 mois d'atroces souffrances.
    Le brave médecin est parti couler une retraite paisible sur la côte d'Azur, visiblement sans remords par rapport à sa façon d'exercer la médecine : l'argent gagné par ce notable a sans doute été gage de son honorabilité.

  • Albert et l'Indochine

    Je me souviens de mon grand-père qui, ayant fait la guerre 14-18, était mort 50 ans plus tard dans son lit : ses dernières paroles furent pour ses copains de tranchée qui n'avaient pas eu la chance de s'en sortir. Il avait dû y penser toute sa vie et le traumatisme était intact à la veille de sa mort. Nos belles guerres, préparées et même mitonnées par nos généraux et nos politiciens, ont transformé des générations de braves types en traumatisés de la vie.
    Dans mon village, nous avions quelques anciens combattants qui avaient "fait l'Indochine", comme ils disaient. Albert était l'un deux : il ne travaillait plus car il devait être pensionné de guerre. Il passait son temps à boire des bières dans la bar-tabac tenu par sa femme, mais aussi chez les épouses de ses copains, quand ils étaient au travail. Malgré les litres de bière qu'il buvait tous les jours, Albert était maigre et sec, comme si le houblon le desséchait. Les rares fois où il parlait de l'Indochine devant moi, en triturant sa Gitane maïs de ses doigts jaunis, ses yeux se couvraient d'un voile de larmes qu'il retenait. Je me souviens de phrases comme "tu en tuais un, il en revenait dix ...." dites entre deux gorgées de bière, et d'autres beaucoup plus dures sur les atrocités de cette guerre.
    Albert est mort dans l'indifférence générale, comme tous ses copains d'Indochine et d'Algérie, avec ses souvenirs que lui-seul pouvait comprendre : sans doute a-t'il été décoré à titre posthume, par un galonné d'opérette.

  • Jeteur de sorts

    Toute mon enfance en Mayenne a été bercée entre la crainte des jeteurs de sorts et le respect des guérisseurs, qui exerçaient leurs "activités" parallèlement à la médecine traditionnelle, en mêlant savoir ésotérique ou religieux, avec une bonne dose de mystères. Personne, bien sûr, ne se vantait d'être jeteur de sorts, car ce pouvoir maléfique faisait fuir les gens, mais les habitants des villages connaissaient parfaitement les pouvoirs de telle ou telle personne et évitaient d'entrer en conflit avec elle. Ce pouvoir mystérieux était d'origine paysanne : au 19 eme siècle, le travail de la terre était dure et la jalousie entre paysans voisins souvent féroce. Il arrivait que, suite à une brouille entre agriculeurs, l'un deux fasse appel au jeteur de sorts pour rendre stérile le troupeau de vaches du voisin, voire pour les faire périr. Mon père connaissait beaucoup d'histoires de ce genre, que lui même avait entendues de la bouche de son père. Ainsi, l'histoire de ce jeteur de sorts, qui lors d'une dispute sur le marché d'un village, dit à son contradicteur qu'il ne quitterait pas son lit (ni ses toilettes ...) pendant une semaine : le pauvre homme fut victime d'une diarrhée pendant plusieurs jours et faillit en mourir : seule l'intervention d'un guérisseur "plus fort" que le jeteur de sorts le sauva.
    Je ne fus pas personnellement témoin d'un cas de sort jeté à quelqu'un, mais il y avait un membre de notre famille dont mes parents se méfiaient énormément : il s'agissait de "Tonton Marcel", beau-frère de mes parents. Le personnage était impressionnant : malgré son pied bot qui le faisait boiter, il était d'une force herculéenne et pouvait, pour s'amuser, vous broyer le main en vous fixant droit dans les yeux. Il n'aimait pas les animaux et si mon chat avait le malheur de passer près de lui, il le prenait par la queue et lui faisait faire un bond de 10 mètres ! Mon père avait un petit élevage de pigeons mais les oeufs pondus et couvés ne donnaient jamais de poussins : il soupçonnait mon oncle, qui élevait des pigeons lui aussi, de jeter régulièrement des sorts à ses pigeons, par jalousie. Nous n'avons bien sûr jamais eu la preuve formelle de ses méfaits, car il y avait un non-dit absolu à ce sujet.
    Quand nous avons grandi et dû passer nos premiers examens scolaires (Brevet, Bac etc ...), nos parents ne dévoilaient jamais les dates des examens devant l'oncle ... par prudence.

     

  • Pied brûlé

    Le jeudi, jour de repos des écoliers, nous aimions, mon frère et moi, nous ballader dans notre terrain de jeux favori de l'époque : le champ de détritus dans lequel était déversé toutes les ordures ménagères du village. C'était une ancienne carrière à ciel ouvert. On y trouvait de tout : vieux meubles, jouets cassés, vêtements usagés, nourriture avariée, poules, rats, chats, chiens etc ... bref un bric à brac incroyable, dans une odeur peu ragoûtante. Nous avions décidé, un jeudi après-midi du mois de mai, d'aller faire un tour dans ce dépotoir, pour récupérer des poussins, qui naissaient régulièrement là-bas. Il faisait très chaud et des fumées s'échappaient des tas de bois qui avaient brûlé pendant plusieurs jours. Nous marchions tranquillement dans la pente quand tout à coup, mon frère, devant moi, se mit à hurler en se couchant à terre : il venait de poser le pied dans un tas de braises brûlantes, cachées sous des branchages. Tout en criant sa douleur, il ôta sa chaussure et sa chaussette et resta allongé au sol, entouré des braises fumantes. Je ne pouvais rien faire pour l'aider, car le danger était partout. De plus, mon frère était en équilibre instable et risquait à tout moment de dévaler la pente, au milieu des braises et de la ferraille. Heureusement, un ouvrier venu décharger son camion, nous aperçut et vint immédiatement porter secours à mon frère. Il réussit à l'extirper de son piège et nous ramena immédiatement chez nos parents. Ma mère, affolée en voyant mon frère hurler, vit venir le médecin, qui constata la brûlure au 3eme degré ! Hélas, il ne pouvait rien faire pour calmer la douleur. Mon père, qui avait été mis au courant de notre mésaventure et voyant la douleur de mon frère, partit chercher le garde-barrières du village : quand il arriva à la maison, il s'assit immédiatement aux pieds de mon frère, qui ne cessait d'hurler. Il se concentra en silence, pendant plusieurs minutes, en passant régulièrement sa main à quelques centimètres du pied brûlé. Tout à coup, mon frère cessa ses pleurs et les cloques qui couvraient sa plante de pied, se vidèrent de leur liquide : la brûlure était stoppé net. Mon frère guérit de cette méchante brûlure sans aucune cicatrice ni séquelle.
    Cet épisode de ma vie me marqua car je fus témoin d'un cas de guérison de brûlure devant laquelle la médecine traditionnelle ne pouvait rien faire.

  • Le Meccano

    Le Meccano, jeu de construction en vogue dans les années 70, m'a évité des après-midi de nain jaune, bataille navale ou autre Monopoly, jeux certes intéressants, mais qui ne m'enthousiasmaient pas comme le Meccano. Quel ne fut pas mon bonheur, quand un jour, ma marraine m'offrit ma première boîte de ce jeu : c'était la boîte n°1 (la numérotation allait, à l'époque, de 1 à 10, par ordre croissant de difficulté). J'étais fou de joie car je rêvais de ce jeu, mais sans beaucoup d'espoir, car son prix était trop élevé. Ma marraine, dont le mari avait le bon goût de bien gagner sa vie, me permettait donc d'assouvir ma passion dévorante pour ce jeu de construction qui m'occupait des journées entières. Dès qu'une figure était montée, je m'attaquait immédiatement à la suivante, en attendant la prochaine boîte, dont le numéro supérieur excitait ma curiosité.
    Et puis, un jour, la boîte n°6 n'est jamais arrivée, ma marraine ayant sans doute décidé que j'étais trop grand pour jouer à ce genre de jeu. J'ai donc rangé définitivement mes précieuses boîtes de Méccano dans une armoire et n'ai jamais pu m'en séparer.

  • L'appendicite

    L'été 1967 s'annonçait bien : il faisait beau en ce début du mois de juillet, nous faisions des ballades champêtres avec mon frère et ma soeur et mes parents, pour la première fois de leur vie, avaient décidé de louer au mois d'août, une petite maison au bord de la mer, près des Sables d'Olonne. Après une journée passée à jouer dehors, je revins à la maison avec de violents maux de ventre, qui m'obligèrent à m'allonger dans mon lit. Le diagnostic établi par le médecin fut rapide : appendicite aigue. Mes parents décidèrent donc de m'emmener en urgence à l'hôpital, situé à une vingtaine du kilomètres de chez eux. Je fus opéré immédiatement et après un séjour à l'hôpital, je sortais heureux de ne plus souffrir. L'arrivée chez mes parents fut triomphale, mes frères et soeurs chantaient car, en plus, nous partions enfin en vacances le lendemain. Hélas, dans la nuit, je fus pris à nouveau de violents maux de ventre; le médecin, appelé en urgence, était impuissant à calmer la douleur : il demanda à mes parents de m'emmener à nouveau à l'hôpital en urgence. Je montais dans la voiture, hurlant de douleur, avec ma maman qui me frottait le ventre, pour essayer de me calmer. Je fus pris en charge immédiatement à l'hôpital et opéré dans les heures qui suivirent. Le diagnostic des médecins était plus que réservé, laissant mes parents dans une angoisse insupportable. Ils durent retourner chez eux, et comme ils n'avaient pas le téléphone, ils allaient toutes les heures chez un voisin pour essayer d'avoir de mes nouvelles auprès de l'hôpital. En fin de matinée, ils purent enfin parler au chirurgien qui m'avait opéré et qui leur annonça que j'avais été victime d'une occlusion intestinale : il était réservé sur mes chances de guérison, car l'opération avait été lourde. Mes parents étaient effondrés et vécurent ces journées d'une façon épouvantable. Petit à petit, je finis, malgré tout, par me rétablir, en passant de l'état allongé sous goutte à goutte, à l'état d'autonomie alimentaire totale. Je fus hospitalisé durant 3 semaines, pendant lesquelles je vis mes parents pleurer, puis sourire enfin en constatant mon rétablissement. Ma maman, qui était très pieuse, avait demandé à l'aumonier de l'hôpital de venir me rendre visite, ainsi qu'à une soeur-infirmière, qui nous faisait les piqûres quand on était malade. A ma sortie de l'hôpital, j'étais très faible et j'avais beaucoup maigri. Mon calvaire n'était pas encore terminé, puisque, quelques jours plus tard, je fus à nouveau pris d'une violente crise de mal de ventre, en pleine nuit. Le médecin dit à mes parents que, vu mon état physique, je ne supporterai pas une troisième opération. Mon père décida alors d'aller voir un toucheur (voir "le vermifuge Teurtou") qu'il connaissait : celui-ci dit à mon père de me donner un sucre trempé dans de l'eau de vie et que j'irai mieux ensuite. A son retour, mon père, qui était assez sceptique (je ne pouvais rien manger sans vomir), me fis manger le sucre alcoolisé, que j'avalai sans broncher. Je m'endormis et me réveillai le lendemain matin, en pleine forme.
    Je ne fus plus jamais hospitalisé pour des problèmes de ventre. Je venais de passer les ¾ de mes vacances d'été à l'hôpital. Mes parents, quant à eux, venaient certainement de vivre un de leurs pires cauchemars.

  • Les enfants des commerçants

    Certains de mes copains d’enfance étaient fils de commerçants (charcutier, boulanger, épicier, quincaillier etc …) du village. Dans les années 60, les supermarchés ne faisaient pas encore leur loi et le commerçant du village régnait en maître sur une clientèle fidèle. Comme leur chiffre d’affaires était intéressant, leurs enfants vivaient dans une relative aisance matérielle, qui à l’époque, se concrétisait par l’achat régulier de vélos neufs (les scooters de l’époque), que les enfants d’ouvriers ne pouvaient que regarder. Combien de fois ai-je pu rêver devant ces beaux vélos, moi qui devais me contenter du vieux vélo retapé de mon père, ou de l’antiquité vélocipédique de mon grand-père ! Nous passions une partie de nos vacances, mon frère et moi, à réparer ou repeindre ces vieux vélos, pour les maintenir coûte que coûte en état de marche. Posséder un vélo neuf était pour moi, à l’époque, le summum du bonheur, que je n’ai atteint que bien des années plus tard.

  • La cidreuse

    Tous les ans, en novembre, mon père faisait remplir les 3 ou 4 barriques de cidre dans la cave. Un énorme pressoir sur roues arrivait alors un matin, attelé à un tracteur pétaradant : c'était la cidreuse, grosse machine commandée par un vieil homme, aussi rond que rouge, dont l'embonpoint et les rhumatismes alourdissaient la démarche. Les dizaines de kilos de pommes étaient avalées par l'engin, dans un bruit assourdissant, qui aurait pu réveiller les morts du cimetière d'à côté. Le jus de pommes sortait du pressoir pour se déverser dans les barriques : nous goûtions alors le savoureux breuvage, du cidre doux aussi bon que foudroyant pour les intestins fragiles. Une fois les barriques remplies, mon père laissait fermenter le cidre pendant une dizaine de jours. Nous devions ensuite, le soir ou pendant les week-ends, remplir de cidre des dizaines de bouteilles et les boucher manuellement avec un petit appareil, dans lequel on plaçait un bouchon de liège préalablement trempé dans de l'eau chaude.

    A cette époque, le cidre était la boisson courante des gens modestes et nous appréciions avec plaisir cette boisson rafraîchissante et naturelle : elle a peu à peu disparu de notre table, remplacée par du vin de supermarché.

  • La pêche à la ligne

    En été, pendant les vacances scolaires, nous allions souvent, mon frère et moi, pêcher à la ligne dans les mares d'une vielle ferme abandonnée, à quelques kilomètres de chez nous. Nous partions à vélo, en début d'après-midi, avec nos cannes à pêche et de nos appâts. Ces appâts se composaient souvent d'une ou deux pommes de terre cuites et de quelques vers de terre, récupérés dans le jardin. Arrivés sur place, nous nous installions autour d'une mare, au milieu des vaches, des oiseaux et de quelques couleuvres que nous rencontrions parfois. C'était des après-midi de bonheur, surtout quand les carpes avaient le bon goût de mordre à nos hameçons : nous rentrions alors dans la soirée, fiers de notre pêche et du bon repas qu'elle allait nous procurer. Nous pêchions aussi parfois les grenouilles, mais la façon de les attraper me semblait si cruelle, que j'ai vite abandonné ce genre de pêche : nous accrochions en effet un morceau de tissu rouge au bout de l'hameçon, que nous agitions ensuite devant la grenouille; elle happait alors goulûment le tissu et il suffisait de ferrer d'un geste vif et sec pour attraper l'animal, qui se débattait dans l'herbe, avec l'hameçon accroché dans la lèvre, ou plus profondément dans la gorge si la bête avait été trop gourmande. De retour à la maison, il fallait les tuer et ensuite les couper en deux avec un ciseau au niveau de l'abdomen pour pouvoir récupérer les cuisses des pauvres bêtes. La maigre pitance que nous avions dans notre assiette par rapport au nombre de grenouilles attrapées nous a rapidement éloigné de ce genre de pêche.
    En été, et particulièrement le 14 juillet, jour de notre fête nationale, nous partions pêcher avec notre père : on se levait à 4 heures du matin, on préparait les sandwichs aux rillettes ou jambon beurre. En arrivant sur notre lieu de pêche, vers 5 heures du matin, il faisant encore nuit et nous voyions poindre progressivement le soleil rouge de juillet, à l'orée des champs. Il faisait bon, pas encore trop chaud et la nature se réveillait progressivement : c'était des moments de bonheur inoubliables. Vers 8 heures du matin, c'était le cérémonial tant attendu du casse-croûte : on dégustait nos sandwichs en buvant du cidre frais, car mon père prenait toujours soin de plonger la bouteille de cidre bouché dans l'eau de la mare. Vers midi, nous partions, fatigués mais heureux de notre pêche et de ces moments de plénitude et de paix.

  • Les chats

    Les chats ont toujours fait partie de notre environnement d'enfants. Nous avions un couple de chats de gouttière (mâle et femelle) qui vivaient chez nous et chassaient rats, souris ou piafs à longueur de journée. Lorsque je rentrai du collège, le soir, ma mère était assise sur une chaise, en train de repriser nos chaussettes : un chat dormait souvent paisiblement sur ses genoux, en ronronnant comme un bienheureux. Hélas, ce bonheur animal était brisé de temps en temps par la naissance de petits chatons : en effet, les chats vivaient en pleine nature et comme la stérilisation n'existait pas à cette époque, notre chatte pouvait avoir une portée de chatons 2 à 3 fois par an ! C'était un véritable drame, car mes parents ne pouvaient pas garder les bébés chats et devaient s'en débarrasser. Comme tous nos voisins avaient des chats, on ne pouvait pas les donner et mon père était contraint, bien malgré lui, de les éliminer : il plaçait donc les chatons dans un sac lesté, qu'il faisait couler à pic dans une bassine remplie d'eau. Il les laissait plusieurs minutes sous l'eau, pour être sûr qu'aucun ne survivrait ! J'ai des souvenirs épouvantables de ces moments atroces, où je pleurais en voyant la chatte chercher ses petits. Mon père, qui adorait les animaux, était écoeuré d'avoir à faire une telle besogne, mais il n'avait pas le choix. Puis un jour, le chat mâle est venu mourir à la maison : il avait dû manger un poison quelconque dans le jardin d'un voisin. Je lui ai caressé la tête, un matin, avant de partir à l'école : le midi, il était mort. Lors de la portée suivante de la chatte, mes parents ont accepté de garder un chaton, pour mon plus grand bonheur. Hélas, un mois plus tard, la pauvre chatte se faisait écraser devant notre maison par une voiture : notre chaton devenait orphelin et nous avons dû le nourrir au biberon. Ainsi donc, malgré les remontrances de mes parents, je n'ai jamais pu réprimer cet amour insensé pour les chats, qui me faisait hélas beaucoup trop souffrir lorsqu'ils disparaissaient.

  • La messe le dimanche matin

    Tous les dimanches matin, enfant, j'avais obligation d'aller à la messe : celle de 9 heures ou celle de 10h30. Cette obligation dominicale, que j'ai vécue jusqu'à l'âge de 15 ans, n'était pas négociable. L'arrivée en seconde et la contrainte de travailler mes cours le dimanche matin m'ont exonéré de cette contrainte, qui fut alors déplacée le samedi soir, de 20 heures à 21h ! Ma mère était en effet intransigeante sur ces obligations religieuses et il n'était pas question, dans un petit village de Mayenne, à cette époque, d'y déroger. Pour Pâques, la Toussaint et Noël, nous devions obligatoirement nous confesser auprès d'un prêtre pour pouvoir communier ensuite : je me souviens de ces faces à faces angoissants avec le religieux, à genoux dans le confessionnal, en essayant de trouver les péchés que j'avais pu commettre ces dernières semaines, pour pouvoir en être absous par l'homme d'église. La crainte religieuse était réelle et faisait partie de notre quotidien, avec par exemple, les cours de catéchisme intégrés dans notre enseignement scolaire. Nous avions régulièrement des interrogations écrites sur notre religion, qui étaient notées au même titre que les mathématiques ou le français. Je me souviens qu'à cette époque, je savais par cœur ce qu'était Pâques, l'Ascension, l'Assomption, car je ne voulais pas que ma moyenne générale baisse.

  • L'ouvrier et le patron

    Mon père travaillait chez un artisan menuisier ébéniste du village, avec une dizaine de collègues. Ses conditions de travail étaient assez pénibles : un atelier rempli de poussière et de sciure (il n'y avait aucun système de ventilation), une chaleur épouvantable l'été, un froid infernal l'hiver, le bruit incessant des machines et surtout la présence du "patron" dans l'atelier, d'une humeur exécrable, transformaient souvent la journée de travail en journée de bagne. Les ouvriers travaillaient sans relâche sous la férule du maître des lieux, qui n'hésitait pas à licencier du jour au lendemain quiconque aurait osé braver son autorité. Il s'absentait de temps en temps de l'atelier, pour aller voir des clients avec sa belle DS 21 qui me faisait rêver : cela permettait aux ouvriers de souffler un peu, même s'ils devaient se méfier quand même de la "patronne" (l'épouse du maître), qui, de temps en temps, venait voir discrètement si ses ouvriers méritaient bien leur salaire ! L'atelier était en effet situé à une centaine de mètres du lieu d'habitation des "patrons". Ce lieu accueillait le couple patronal avec ses 2 enfants, mais aussi la grand-mère, et plus tard les petits-enfants du "patron" : toute cette belle famille était logée sous le même toit mais n'était pas assujettie à la même vie que les ouvriers qui travaillaient si près de leur domicile : en effet, aucune de ces personnes, sauf le "patron", n'exerçait une activité professionnelle. Une dizaine d'ouvriers suffisaient en effet à leurs besoins. La "patronne", dont le QI était inversement proportionnel à la somme d'argent gagnée sur le dos des ouvriers, disait parfois à ma mère, qui faisait ses courses à pied ou à vélo, avec un cabas rempli pour nourrir une famille de 5 enfants, que "l'ouvrier, aujourd'hui, est heureux". En effet, pendant cette période faste des "30 glorieuses" (de l'immédiat après-guerre jusqu'aux années 70),  l'économie française a tourné à plein régime, mais "l'heureux ouvrier" comme mon père gagnait un salaire misérable, devait aller travailler même malade (sinon, il n'était pas payé) et risquait le licenciement du jour au lendemain : j'ai toujours un sourire attendri quand j'entends notre personnel politique trop bien nourri parler avec regrets de cette période heureuse de notre histoire.

  • Menuisier-ébéniste

    Mon père était menuisier ébéniste et travaillait comme ouvrier chez un artisan du village. Dans les années 60, les conditions d'hygiène et de sécurité n'étaient pas aussi rigoureuses qu'aujourd'hui. Mon père travaillait dans un grand atelier, surchauffé l'été et glacial l'hiver, et toute la journée il respirait un air chargé de sciure et de poussière. Il n'y avait pas ou peu de protection sur les machines, et fréquemment, ses doigts se faisaient happer par une scie circulaire ou une scie à ruban : mon père partait alors en courant chez lui, la main bandée dans un chiffon, en attendant qu'il soit emmené à l'hôpital, par un voisin possédant une voiture. Les pauvres mains de mon père étaient les témoins du lourd tribu payé à la machine : sa main droite n'avait plus ni annulaire, ni auriculaire, remplacés par 2 petits moignons; le majeur, déformé par les coups reçus (coups de marteau, blessures dues aux machines) ne se pliait plus et était difforme. Quand mon père nous donnait une gifle suite à une mauvaise conduite, nous avions la marque de ses 3 doigts sur le visage, ce qui nous faisait dire :" "3 doigts" a encore frappé !"

    Lorsqu'il travaillait sur un meuble, pour le restaurer, il lui arrivait souvent de chanter ou de siffler des chants de messe, souvenirs de sa jeunesse au cours de laquelle il avait été enfant de chœur. Si par mégarde, il se donnait un coup de marteau sur les doigts, un violent "Nom de Dieu" terminait le cantique latin !

  • Les vacances dans le Massif Central

    Vers l'âge de 40 ans, mon père a enfin pu passer son permis de conduire et acheter sa première voiture. C'était un évènement dans la famille, car, à cette époque, très peu de familles ouvrières possédaient une automobile. Mes parents avaient acheté, chez le garagiste du village, une Panhard PL17 : mon père n'était pas très féru de mécanique et avait une confiance aveugle dans son garagiste. La voiture avait un aspect amusant, avec des gros phares ronds, un capot arrondi et un châssis assez bas. Elle avait un moteur assez pétaradant et poussif, avec uniquement 3 vitesses. Elle semblait un peu petite pour une famille de 5 enfants, mais rien n'aurait empêché mes parents de partir en vacances pour la première fois de leur vie.

    Nous sommes donc partis un beau matin du mois d'août, à 7 dans une voiture chargée à bloc, direction le Massif Central. Arrivée à mi-parcours, la voiture, dont le pare-choc arrière frôlait le bitume, n'a pas supporté un dos-d'âne sur un passage à niveaux : le pot d'échappement a été arraché suite au choc sur le sol et mon père a dû trouver rapidement un garage avec une voiture qui vrombissait comme un avion. Nous avons dû terminer le parcours avec un taxi, qui a accepté de nous emmener à destination, avec nos bagages. Le trajet n'en fut pas moins épique, car nous vomissions tous à chaque virage, serrés à 8 dans une voiture surchauffée qui arpentait les lacets du Massif Central.

    L'année suivante, nous sommes à nouveau partis en vacances dans la Massif Central : mon père avait dû se débarrasser de la Panhard pour acheter une 404 break d'occasion. Nous avions beaucoup plus de place dans ce véhicule et cette année-là, mes parents avaient décidés d'emmener, dans le coffre de la voiture, notre garde-manger pour un mois : 4 poules vivantes, qui ont d'ailleurs eu du mal à le rester, tellement il faisait chaud dans le véhicule, en plein mois d'août ! Le voyage était parfois mouvementé car nous emmenions aussi le chat Ploum, qui n'appréciait pas vraiment la compagnie odorante des poules dans la voiture. Une fois arrivées à destination, les poules étaient parquées dans un petit enclos et profitaient du bon air de la montagne, avant de passer dans la casserole familiale.

  • La grand-mère

    De temps en temps, notre grand-mère, vieille femme veuve depuis de nombreuses années, venait habiter chez mes parents pour quelques jours. Elle n'avait pas très bon caractère, sans doute aigri par le décès de son mari, mort des suites de la guerre 14/18 (inhalation de trop de gaz "moutarde") pendant sa dernière grossesse  : elle accouchera seule de ma mère.

    Ma grand-mère ne m'aimait pas beaucoup, et je le lui rendait bien, mais elle avait un défaut majeur à mes yeux : elle n'aimait pas non plus les animaux, en particulier mon chat Ploum. Chaque fois que, discrètement, elle pouvait lui donner un coup de pied contre le pauvre matou, elle n'hésitait pas. Mon chat Ploum était un vrai chat de gouttières, habitué à chasser et à se battre contre ses congénères pour défendre son territoire.

    Un jour, nous entendons des hurlements dans la cuisine : mon père se précipite et voit ma grand-mère tremblante, debout sur une chaise avec le balai à la main. En face d'elle, mon chat Ploum, debout sur un meuble, poils hérissés et yeux exorbités, s'apprête à sauter lui au visage. Ce jour-là, mon père a réussi à faire sortir le chat de la cuisine, évitant à la grand-mère une greffe du visage ! Elle a donné de vagues explications sur le comportement anormal du matou, mais n'a réussi à convaincre personne : mon chat était du genre pépère, à passer un après-midi à jouer avec une pelote de laine ou à ronronner sur les genoux de ma mère quand elle tricotait : j'étais fier (intérieurement) de lui, digne descendant des chats de gouttière intrépides et affectueux.

  • La poule et le lapin

    Une fois par semaine, après le dîner, mon père tuait une poule ou un lapin, qu'il choisissait dans la volière ou le clapier de notre jardin. Il attachait la poule par les deux pattes et la suspendait à un arbre, tête en bas. Puis, il ouvrait le bec de l'animal et  enfonçait un couteau dans sa gorge : il le retirait ensuite d'un coup sec, ce qui tranchait la gorge de la poule et provoquait une mort rapide par perte de sang. La pauvre bête se débattait violemment au début de son agonie, essayait d'avaler son sang puis finissait par mourir, vidée de son sang.

    Mon chat Ploum attendait patiemment près de la poule, humant le sang chaud qui s'écoulait, en sachant que, bientôt, il se délecterait des viscères fumants de l'oiseau. Une fois la poule morte, mon père la décrochait et mon frère et moi devions la plumer en la trempant régulièrement dans une bassine d'eau chaude pour nous faciliter la tâche. L'endroit le plus délicat pour arracher les plumes se situait au niveau du croupion, surtout quand la poule avait la diarrhée ! Une fois déplumé, l'animal passait dans les mains de ma mère, qui la vidait des ses viscères, qui allaient faire la joie du chat.

    Pour la mise à mort d'un lapin, mon père procédait de la même façon : il le suspendait par les deux pattes arrière puis l'assommait d'un coup sec et violent derrière les oreilles. Un fois la lapin assommé, il lui arrachait les yeux avec un couteau, pour le saigner : le chat adorait déguster les yeux de lapin ! Puis mon père dépouillait l'animal, en partant des pattes jusqu'à la tête. Restait la phase la plus délicate pour mon père qui consistait à vider le lapin sans percer le pancréas de l'animal : il lui arrivait de vomir ensuite, car mon père était très délicat !

    Nous étions habitués à ces mises à mort hebdomadaires, qui étaient la seule façon, pour nos parents, de nourrir correctement une famille de cinq enfants : ils n'avaient en effet pas les moyens d'acheter de la viande chez les commerçants du coin (les grandes surfaces n'existaient pas, à cette époque). Cette habitude de manger un animal venant directement de notre poulailler ou notre clapier, même si elle peut paraître très bio, voire bobo aujourd'hui, était le seul moyen de survie des familles ouvrières de l'époque.

  • Les vacances de février

    Pendant les vacances scolaires de février, nous nous occupions à laver les bouteilles vides, en vue de la prochaine cuvée de cidre de l'année. Nous faisions tremper les bouteilles usagées dans un bassin rempli d'eau, puis nous les lavions à la main. Il fallait remplir complètement la bouteille en la maintenant sous l'eau, puis laver l'intérieur en remuant une petite brosse que l'on faisait pénétrer à l'intérieur de celle-ci. Le bassin était dans la cour, en plein air et nous avions les mains gelées.

    A la reprise de l'école, j'écoutais avec bonheur une petite copine, Martine, fille du médecin du village, qui nous contait ses vacances aux sports d'hiver et nous parlait du froid, qui, souvent, en altitude … lui gelait les mains !

  • L'instituteur

    Dans les classes de CM1 et CM2, il y avait deux instituteurs particulièrement craints par les élèves. Le premier, le plus jeune, était un colosse roux d'une force herculéenne : quand il se mettait en colère, sa voix résonnait dans toute la cour de l'école et faisait trembler les élèves. La torture était de passer au tableau pour y faire un exercice : si l'élève se trompait, l'instituteur le soulevait de terre en le prenant par les épaules et lui hurlait à l'oreille la correction, en lui cognant la tête contre le tableau à chaque mot prononcé. Ce procédé nous terrorisait mais nous forçait à nous concentrer un peu sur nos devoirs. A cette époque, les psychologues pour enfants n'avaient pas pignon sur rue "pour aider à accompagner l'enfant dans son cheminement"  : la seule psychologie prépondérante était la psychologie "tarte dans la gueule".

    L'autre instituteur, plus âgé, fumait systématiquement pendant les cours. Quand il nous faisait une dictée, il passait dans les allées, et, s'il constatait une faute d'orthographe sur une copie, il dégainait sa règle en fer et punissait le fautif d'un coup de règle sec et vif sur le haut de l'oreille : l'effet était garanti, surtout en hiver, quand l'enfant était venu à vélo à l'école (certains faisaient plus de dix kilomètres pour venir) et que ses oreilles étaient rouges de froid.

  • Le Vermifuge "Teurtou"

    Une fois par mois, toute la famille se déplaçait pour aller voir un vieux monsieur, guérisseur de son état, qu'on appelait un "toucheur" : ma mère était persuadée que ses passes magiques nous guérissaient des "vers" (ascaris) qui semblaient perturber, parfois, notre système nerveux.

    Le vieux monsieur, qui habitait, en pleine campagne, un lieu-dit appelé "le carrefour des treize poils" (!!!) était un brave petit grand-père, peu loquace, qui pratiquait son art avec un certain mystère. Nous passions un par un sous ses mains bienfaitrices. Il ne demandait jamais à être rétribué pour ses actes, mais mes parents lui donnaient toujours un peu d'argent.

    Un jour, il dit à ma mère de nous donner tous les soirs, pendant quelques jours, une cuillerée de vermifuge "Teurtou". Ma mère s'inquiète et lui dit qu'elle ne connaît pas cette marque de vermifuge. Le grand-père se met alors à rire à gorge déployée et mon père nous explique  que "Teurtou" n'est pas la marque du vermifuge, mais un terme en patois qui veut dire "pour tous".

    Toute la famille devait prendre du vermifuge : du vermifuge teurtou !

  • Noel

    Noël était le moment que nous attendions tous avec une certaine excitation. La semaine précédant cet évènement, nous partions, dans la campagne environnante, chercher du houx avec des boules rouges, pour décorer la crèche : tous les ans, début décembre, celle-ci réapparaissait dans un coin de la maison. Joseph, Marie, l'âne et le bœuf attendaient patiemment l'arrivée du "petit Jésus", le 25 décembre. Tous les soirs, après le dîner, nous allions faire une prière en famille, à voix haute, devant la crèche, lumière éteinte et bougies allumées. Le soir de Noël, après le repas, nous allions à la "messe de minuit", dans l'église du village. Au retour, en guise de réveillon, nous buvions un bol de chocolat chaud et nous allions nous coucher. En m'endormant, je pensais à ma belle boite de "Meccano" que j'aurais demain matin, près de mon soulier … En me réveillant le lendemain, je m'empressais, comme mes frères et sœurs, de découvrir mes cadeaux … une orange, un petite boite de chocolat, une blouse pour l'école … mon cœur était triste, mais je n'en voulais pas à mes parents : nous étions cinq enfants, ils étaient pauvres, et je les aimais.

    Tant pis pour ma boite de Meccano …

  • La ferme

    Tous les jeudis, jour de repos des écoliers, il fallait aller chercher la nourriture pour la semaine : mes parents n'avaient pas encore de voiture à la fin des années 70. Nous partions à vélo, mon frère et moi, pour une dizaine de kilomètres dans la campagne mayennaise. Nous allions toujours à la même ferme, qui portait le doux nom de "Chalopinnière", chercher deux ou trois poulets, des œufs et parfois un lapin. Les animaux étaient vivants et nous les enfermions dans des sacs à provisions, accrochés aux guidons des vélos. Parfois, la fermière nous proposait de boire un verre de cidre et de manger : "Qu'est-ce que tu veux, mon p'tit bonhomme ? une beurrée de beurre avec un pèrre  ou un bout de fourmeuge ?"  Avec le temps, j'avais fini par comprendre que j'avais le choix entre une tartine de beurre avec une poire ou un morceau de fromage. De temps en temps, elle nous interpellait en nous disant : "les jeunes d'ast'heur, on a beau yeu'di, on a beau yeu'fé, i n'en f'sant qu'à yeu'têt !" ("les jeunes d'aujourd'hui, on  a beau dire, on a beau faire, ils n'en font qu'à leur tête !". Nous répondions alors avec un sourire béat pour lui faire croire qu'on avait compris.

    L'été, cette balade champêtre était sympathique, mais l'hiver, elle pouvait tourner au cauchemar, à cause du froid ou de la pluie. Je me souviens que parfois, j'arrivais à la maison en pleurant, les mains rougies par un froid vif et cinglant : ma grand-mère, qui ne m'aimait pas beaucoup, disait que je "faisais des manières" pendant que j'essayais de ramener me doigts à la vie au dessus du poêle à bois (ma grand-mère était très psychologue et savait parler aux enfants de neuf ans !)

  • Culotte courte

    L'hiver, en Mayenne, à cette époque (1960-1970), il faisait froid. Les garçons portaient la "culotte courte", de Pâques à la Toussaint , soit plus de 7 mois pendant lesquels les températures avoisinaient parfois le zéro degré, voire en dessous. Par grand froid, j'étais un des seuls enfants à ne pas porter le pantalon à l'école : je subissais parfois les railleries de mes camarades, qui se moquaient de mes cuisses rougies.
    Mais la règle était la règle et ma mère n'y dérogeait pas : on ne sortait le pantalon qu'à partir de la Toussaint.

    L'entrée en sixième marquait la fin de cette tradition, et je pouvais enfin porter un pantalon durant toute l'année scolaire. Le problème, c'est que, comme je grandissais trop vite et que je n'avais qu'un pantalon pour toute l'année, je me retrouvais avec un "pantacourt" au mois de juin : c'est très à la mode aujourd'hui, mais pas très "fashion" dans les années 70.

  • Greli Grelo

    Nous jouions souvent, avec ma sœur, à un jeu qui nous occupait des après-midi entiers. Nous ramassions quelques petits cailloux pour jouer à "greli-grelo" : chacun notre tour, on mettait un certain nombre de cailloux dans les mains, on les joignait et on les remuait en faisant s'entrechoquer les cailloux, en disant la phrase : "Greli-grelo, combien j'ai de pierres dans mon sabot ?".

    Le but du jeu était de trouver le nombre exact de cailloux, ce qui permettait de gagner la mise.

    Nous pouvions jouer très longtemps, assis à l'ombre d'un mur : quelques cailloux suffisaient à nous occuper et nous savions, quelle chance, que demain, il y aurait encore d'autres cailloux. Les jouets-cailloux étaient là, à profusion : c'était encore mieux que dans les centres commerciaux d'aujourd'hui. Ils étaient là, à nos pieds, et on n'était même pas tenté de les voler.